Le sportif Fabrice Liotard témoigne de son parcours afin de sensibiliser un plus grand nombre à l’importance de pousser les portes de la section handisport ASPTT, à Draguignan. Atteint de trois tumeurs au cerveau, Fabrice Liotard, 43 ans, est désormais malvoyant. Adhérent à l’ASPTT handisport et archer, il vient d’être récompensé d’une médaille d’honneur à Saint-Raphaël pour son courage et sa persévérance.
PAR CAROLA CZERNECKI / [email protected].
“ UNE HEURE NOIRE, trois heures blanc… Joli ! On est centré, on est dedans. Tu peux souffler Fabrice ”, rassure Patrick Adloff, maître archer reconnu. À l’entrée de la Forteresse du Dragon, dans l’espace réservé au tir à l’arc, il entraîne Fabrice Liotard. Grâce à sa méthode, il lui enseigne à se situer dans l’espace et à viser la cible multicolore placée à 15 mètres. Et chaque réussite est un exploit pour cet archer malvoyant qui a démarré la discipline en 2024, et qui n’en finit plus de surprendre ! Sa participation à une compétition de tir à l’arc pour archers voyants à Saint-Raphaël lui a valu d’être récompensé d’une médaille d’honneur pour sa persévérance. Il réussissait 26 flèches sur 30. “ Je me suis surpris tout seul ”, lance-t-il.
L’homme force le respect. Une succession de problèmes de santé lui a malheureusement fait perdre la vue. “ Aujourd’hui, j’ai 3/10 à l’oeil gauche avec une vision floue, et je ne vois plus rien de l’oeil droit ”, détaille le sportif dracénois. La voix posée, la gorge souvent nouée, il revient sur cette année 2017, pendant laquelle tout a basculé.
“ Je déraille, j’appelle mon patron papa ”.
“ J’ai travaillé comme chef boucher pendant sept ans. Mais j’avais besoin de me retrouver dans la nature. J’ai donc tout quitté pour faire du bûcheronnage et de l’élagage ”, raconte celui qui est aussi ancien champion de jiu-jitsu. Il se passionne ensuite pour la cuisine et s’expatrie sur l’Île du Levant “ en tant que second ”.
Et les ennuis commencent : “ J’ai ressenti des maux de tête, des migraines affreuses qui duraient un mois, et une tache est apparue devant mon oeil droit. ” En juin 2017, il intègre le restaurant La fleur de Thym à Flayosc : “ Là, j’apprends la cuisine. C’était vraiment super ”, s’exclame le touche à tout. Des photos de plats dressés avec brio témoignent de son talent.
Mais à la fin de son contrat, il déraille : “ Je perds la raison, je vais voir mon patron… Je l’appelle papa. ” Le scanner révèle un craniopharyngiome, une tumeur “ de la taille d’une orange ”, située au niveau du cortex cérébral : “ C’était la première fois que le médecin voyait ça ”, se souvient-il. Bien qu’il risque la “ tétraplégie ”, il est opéré en urgence à l’hôpital Pasteur à Nice, en novembre 2017. “ Plus que quelques semaines et je mourrais ”, assure-t-il. Sauf qu’en essayant de supprimer la tumeur – “ il n’en restait que 5 % ” – l’équipe médicale lui brûle la fibre optique. “ Pendant six mois, j’étais dans le flou complet. ” Puis le quadragénaire prend du poids : “ En perdant l’hypophyse, je suis passé de 65 à 117 kg. Je n’arrivais plus à marcher, je ne pouvais plus rester seul. ” Malgré la présence de ses proches (1), il fait face aux conséquences sur son corps et son esprit.
Trois ans plus tard, une nouvelle sentence s’abat sur lui. On lui détecte une deuxième tumeur au cerveau. “ On me dit qu’il y a un gros risque que je perde la vue à plus de 90 %. ” Il est de nouveau opéré. “ Après l’intervention, je vois un peu ! Je suis content, je suis heureux ”, se réjouit-il.
Trois tumeurs et une volonté de fer. Il s’installe dans un appartement de coordination thérapeutique (ACT) et gère son quotidien. Dans l’impossibilité de reprendre un travail, il crée. “ Je me suis lancé dans la construction de maquettes de navires du XVIIIe siècle en Lego, se remémore-t-il. Ma mère s’y est mise aussi. Avec ma soeur, elles m’aidaient pour les couleurs. ”.
Puis le sort décide de s’acharner. Encore. Une troisième tumeur est diagnostiquée six mois plus tard, lors d’un contrôle. “ En rigolant, je disais à ma soeur “jamais deux sans trois”. Et le résultat est tombé”.
Sauf que cette fois, elle n’est pas opérable. Il y a, qui plus est, un risque pour sa mémoire. “ On me parle aussi de décès ”, raconte celui qui a toujours affiché une sérénité sans pareil face à l’épreuve. Programmées, les séances de radiothérapie s’avèrent dangereuses et sont annulées. On lui prescrit alors de la protonthérapie (2). Durant deux mois, il séjourne à la Consolata (3) et apprend à jouer du piano “ seul ”. Traitées en même temps, les trois tumeurs se réduisent, laissant place à des résultats enfin positifs. Grâce à son engagement dans la section handisport de l’ASPTT à Draguignan, club dans lequel il pratique le showdown et la musculation, Fabrice découvre alors le tir à l’arc, la Forteresse du Dragon, et son “ capitaine ”. “ Un souvenir que je garderai toute ma vie. S’entourer de belles personnes, c’est important, confie-t-il. Le tir à l’arc est un bonheur indescriptible. Je compte me lancer à fond dedans. ”.
Et de rappeler la devise de l’ASPTT : “ Handicapé, mais pas foutu. Il y a toujours un après, je n’ai jamais abandonné pour moi et pour ma famille. Aujourd’hui, ma petite soeur Florence est fière de moi. ”.
- Fabrice Liotard est issu d’une fratrie de cinq enfants.
- La protonthérapie est une forme de radiothérapie ultra-précise, utilisée pour traiter certains cancers de l’adulte et de l’enfant.
- Maison d’accueil hospitalière niçoise.
Fabrice Liotard s’entraîne sans relâche sous le regard de son maître archer, le Dracénois Patrick Adloff.
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